Amortissement du fonds de commerce : enjeux comptables et fiscaux pour les entreprises

Amortissement du fonds de commerce : enjeux comptables et fiscaux pour les entreprises #

Distinction entre fonds de commerce et fonds commercial #

Nous devons distinguer avec précision deux notions souvent confondues : fonds de commerce et fonds commercial. Le fonds de commerce se définit comme l’ensemble des éléments corporels et incorporels affectés à une exploitation : droit au bail, clientèle, matériel, stocks, enseigne, contrats de travail, etc. Lors d’une acquisition, chacun de ces composants, s’il est identifiable et séparable, fait l’objet d’un enregistrement comptable distinct selon sa nature.

  • Le fonds de commerce comprend ainsi des immobilisations corporelles (mobilier, matériel) et incorporelles (brevets, marques, licences).
  • Après l’imputation de la valeur de ces actifs individualisables, le reliquat non attribuable à un autre poste d’actif est affecté au fonds commercial (compte 207 en comptabilité).

Le fonds commercial représente donc une valeur immatérielle non identifiable séparément : survaleur liée à la clientèle, notoriété, implantation, habitudes de passage – autant d’éléments impossibles à rattacher à d’autres rubriques de l’actif.

Seul le fonds commercial est potentiellement concerné par l’amortissement. Les autres éléments du fonds de commerce (matériel, agencement) suivent leur propre régime d’amortissement ou de dépréciation selon leur nature.

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Évolutions législatives récentes sur l’amortissement #

Jusqu’en 2015, la doctrine voulait que le fonds commercial, en principe à durée d’utilisation illimitée, ne puisse être amorti en comptabilité sauf cas exceptionnels. Un tournant significatif est survenu le 4 décembre 2015, admettant l’amortissement du fonds commercial à condition de justifier d’une durée d’utilisation limitée : contrat de franchise, autorisation administrative temporaire, durée d’exploitation prédéterminée, etc.

  • Pour les petits commerces, la loi autorise même une amortissabilité de plein droit sur 10 ans, sans devoir prouver une durée d’utilisation restreinte.

Ce cadre comptable a trouvé un écho en fiscalité après la crise sanitaire : la loi de finances en 2021 puis les mesures transitoires ont permis, à titre exceptionnel, l’amortissement fiscal du fonds commercial pour les acquisitions intervenues entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2025, pour répondre à la conjoncture économique et encourager la reprise des commerces. Ce dispositif s’applique :

  • aux PME au sens du droit européen, soit moins de 250 salariés et CA inférieur à 50 M€,
  • aux fonds commerciaux inscrits en immobilisations incorporelles postérieurement à 2022 et jusqu’à fin 2025.

La date d’acquisition du fonds commercial et la taille de l’entreprise déterminent donc l’accès à cette mesure exceptionnelle, qui fait l’objet d’un suivi particulier lors des contrôles fiscaux.

Conditions et limites de l’amortissement comptable #

En comptabilité, l’amortissement du fonds commercial ne peut être pratiqué que dans deux situations :

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  • lorsque la durée d’utilisation est démontrablement limitée, au terme d’un contrat ou d’une autorisation d’exploiter ;
  • ou, pour les petites entreprises, par option directe, sans justification particulière, sur une durée forfaitaire de 10 ans.

La définition de la petite entreprise répond à des seuils précis : chiffre d’affaires ≤ 12 M€, total de bilan ≤ 6 M€, effectif moyen ≤ 50 salariés. Cette distinction, introduite par l’arrêté du 4 décembre 2015, ouvre la voie à une gestion pragmatique et sécurisée pour les TPE et PME, souvent concernées par des cycles d’exploitation plus courts.

Restent quelques restrictions majeures à souligner :

  • Les grandes entreprises doivent démontrer par pièces et circonstances l’existence d’une limitation objective de la durée d’exploitation du fonds commercial.
  • Lorsque la cession comporte des clauses restrictives de réinstallation, le fonds commercial n’est pas amortissable, car la valeur d’utilité future n’est pas affectée.
  • Tout amortissement doit être étayé par une documentation précise (contrats, projections, rapports d’expert, etc.).

Modalités de calcul de l’amortissement du fonds de commerce #

La durée d’amortissement du fonds commercial est déterminée par la durée effective d’exploitation si celle-ci est connue. A défaut, la norme retient une durée forfaitaire de 10 ans, généralisée pour les petites entreprises et acceptée pour la majorité des cas admis par l’administration.

  • La dotation annuelle à l’amortissement se calcule en divisant la valeur brute inscrite en compte 207 par la durée retenue.
  • L’écriture comptable à passer chaque année consiste à débiter le compte 681110 « Dotation aux amortissements sur immobilisations incorporelles » et à créditer le compte 280700 « Amortissement du fonds commercial » pour le même montant.

Prenons l’exemple concret d’une société ayant acquis en 2023 un fonds commercial valorisé à 100 000 €. Optant pour l’amortissement sur 10 ans, la dotation annuelle sera de 10 000 €, ventilée entre les comptes précités. Ce schéma facilite la gestion du plan d’amortissement, la justification fiscale et la préparation de l’annexe comptable.

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Conséquences fiscales de l’amortissement du fonds commercial #

La dotation aux amortissements vient en diminution du résultat imposable, ce qui représente un intérêt fiscal indéniable durant la période transitoire jusqu’à fin 2025. Les PME ayant acquis leur fonds commercial entre 2022 et 2025 peuvent donc déduire ces dotations de leur base d’imposition, générant une économie d’impôt immédiate. Voici les principales implications pratiques :

  • L’amortissement fiscal du fonds commercial est admis pour l’IS (impôt sur les sociétés) comme pour l’IR (impôt sur le revenu).
  • Passé le délai légal (acquisitions postérieures à 2025), le retour au régime antérieur est prévu, avec maintien des amortissements passés mais interdiction de nouvelles dotations pour les fonds non éligibles.
  • Il subsiste une différence de traitement entre amortissement comptable et amortissement fiscal : la dotation pratiquée en comptabilité pour un fonds acquis hors période admise en fiscalité n’est pas déductible du résultat fiscal, générant une réintégration extra-comptable.

Notre avis se fonde sur l’intérêt manifeste d’anticiper ces changements et d’ajuster la stratégie d’acquisition en conséquence, en se faisant accompagner par un expert lors de l’évaluation de chaque dossier.

Amortissement ou test de dépréciation du fonds commercial ? #

La question de l’amortissement du fonds commercial ne saurait occulter celle du test de dépréciation annuel. Traditionnellement, le fonds commercial n’était pas amortissable et devait faire l’objet d’une revue périodique de sa valeur afin de détecter une éventuelle perte de valeur durable (dépréciation).

Critère Amortissement Test de dépréciation
Périodicité Annuel (dotations fixes sur la durée) Annuel ou lors d’un indice de perte de valeur
Effet sur le résultat Réduction régulière du résultat imposable Impact exceptionnel lors d’une dépréciation
Obligation Optionnelle selon la situation du fonds Obligatoire en absence d’amortissement

Les deux mécanismes peuvent coexister, mais ils n’ont pas la même portée. Pour les fonds commerciaux non amortissés (hors dispositif temporaire ou cas dérogatoire), le test de dépréciation reste impératif pour traduire au bilan la diminution de valeur réelle du fonds, par exemple en raison de la perte de clientèle ou de l’apparition d’un concurrent majeur.

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Nous prônons une approche pragmatique, combinant amortissement lorsque cela est possible et test de dépréciation systématique, afin d’offrir une image fidèle du patrimoine de l’entreprise et de prévenir tout risque de litige avec l’administration fiscale.

Risques et points de vigilance pour les entreprises #

L’amortissement du fonds de commerce expose les entreprises à divers écueils qu’il convient d’anticiper rigoureusement. Les erreurs les plus fréquentes résident dans l’absence de documentation appropriée, la confusion entre amortissement et dépréciation, ou l’application erronée des seuils et des durées.

  • L’administration fiscale contrôle avec attention la cohérence des paramètres retenus (durée, justification de la limitation, motifs de l’option), notamment lors des acquisitions récentes bénéficiant du régime temporaire.
  • Les dossiers doivent intégrer des éléments probants pour étayer la décision : projections d’activité, rapports d’évaluation, contrats spécifiques, études de marché.
  • L’absence de suivi rigoureux du plan d’amortissement ou du test de dépréciation expose à des redressements et à la remise en cause de la déductibilité des dotations.
  • La distinction entre comptabilité et fiscalité nécessite d’anticiper les éventuelles différences de traitement, notamment pour l’établissement des liasses fiscales et de l’annexe annuelle.

Nous recommandons d’associer systématiquement le conseil d’un expert-comptable lors de toute opération significative portant sur un fonds de commerce, tant pour sécuriser l’écriture initiale que pour garantir la conformité des options retenues et la pérennité des avantages fiscaux escomptés.

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